Rencontre avec Jeannine Lonay, mère des frères Saive et championne de tennis de table: «Jean-Mi et Philippe sont très fiers de moi»
On connaît les frères Saive, légendes du tennis de table. Mais saviez-vous que leur mère est championne de Belgique en plus de 75 ans? Elle nous raconte…
Dans la famille Saive, je demande la maman! Après avoir mis sa vie de pongiste sur pause pour s’occuper de la carrière de ses talentueux fils, Jeannine Lonay s’est remise au ping il y a dix ans. La sympathique septuagénaire nous reçoit dans sa maison, à Ans (Liège), en nous montrant, avec humilité, ses récents trophées…
Quand avez-vous commencé le tennis de table?
De retour du Congo, j’ai vu qu’une salle de ping s’ouvrait, ici, à côté de l’église d’Ans. Je me suis donc lancée, par hasard, dans ce sport à 13 ans et j’ai très vite gravi les échelons. Pour jouer des tournois mixtes, on m’a acollé à un bon joueur d’un autre club: Jean-Paul Saive. Au fil des compétitions, nous sommes sortis ensemble et nous nous sommes mariés. J’étais enceinte de Jean-Mi quand je suis devenue championne de Belgique en double dames B. J’ai été 20e Belge, ce n’est pas 1ère, hein!
Avez-vous poussé Jean-Mi et Philippe vers ce sport?
Absolument pas! A l’époque, on fumait dans les salles, il faisait tout bleu! Puis, j’avais passé toute ma jeunesse enfermée puisque les compétitions se jouent à l’intérieur. Je leur ai interdit. Ils jouaient au foot avec mon mari sur le terrain à côté de la maison et je les ai inscrits dans un club de football.
Leur équipe a gagné une coupe pour le local du club mais Jean-Mi voulait sa propre coupe à la maison! En fait, mes deux fils ont la championnite aiguë depuis leur plus jeune âge. Leur interdire le ping a dû les encourager puisqu’ils y jouaient derrière notre dos sur la table de la salle à manger. Donc voilà… A leurs 7 et 9 ans, je leur ai appris le b.a.-ba du sport et mon mari les coachait, sans nous substituer, bien sûr, à l’entraîneur du club. A chaque congé scolaire, ils partaient en stage de ping. J’ai perdu mes enfants à 8 et 10 ans…
Comment avez-vous géré le fait d’être mère de deux champions?
Il a fallu les aider à devenir champions. Les deux rêvaient d’avoir leur nom dans le journal mais personne ne parlait de ping-pong. Alors, pendant dix ans, je faisais des photos que je développais en plusieurs exemplaires pour, chaque semaine, faire la tournée des quotidiens de la région. «Vous ne voulez pas parler du petit, il est champion de Belgique?»
Cela a commencé par trois lignes et, ensuite, il y a eu de plus en plus de résultats en ping dans la presse, de tous les clubs de la province. Et plus tard, la diffusion des matches à la télévision. Les jeunes qui commencent aujourd’hui ne connaissent plus Jean-Michel Saive, hein.
Votre vie a-t-elle changé quand ils sont devenus connus?
On ne s’est jamais pris la tête pour ça. Champion de ping, c’est bien mais rien du tout à côté de Johnny Hallyday! Il y a juste eu une fois un inconvénient: on avait enfin réussi à réunir toute la famille au restaurant et là les demandes d’autographes n’ont pas cessé. Mais c’est grâce au public et aux médias qu’on arrive à ce niveau. Ils vous boostent et donc il faut savoir remercier les gens.
Mon adversaire gagne en adrénaline quand il sait qu’il pourrait battre un Saive, c’est embêtant!» Jeannine Lonay
Pendant longtemps, Jean-Mi a été numéro 1 belge et Philippe numéro 2. Difficile pour une mère…
Dramatique! Vous partez en voiture avec deux gosses qui espèrent être champion de Belgique et vous revenez avec l’un qui rit car il est champion et l’autre qui pleure. Battu par son frère… Mais Philippe a déjà été champion de Belgique aussi. En tant que parents, ça nous rendait malade qu’ils se retrouvent l’un contre l’autre en finale d’un tournoi. Le pire scénario. J’ai découvert, en lisant le livre autobiographique de Philippe, qu’il a particulièrement souffert lors d’un championnat d’Europe. C’est dur… Il a grandi dans l’ombre de son frère. On parle encore de Jean-Mi avant de parler de son frère car il a été le meilleur joueur belge de tous les temps mais sans lui, Philippe serait le meilleur. Et à ce jour, aucun joueur, en Belgique, n’a atteint le niveau de Philippe!
Pourquoi avoir repris le ping?
Après mon retour à Ans – car j’ai vécu des années à Durbuy après mon divorce – je suis retournée au club, où j’ai pris plaisir à jouer avec des gosses à qui j’apprends toujours la bonne prise de raquette, mon obsession pour démarrer ce sport sur de bonnes bases et éviter les mauvais mouvements! Puis, on m’a demandé de remplacer une dame absente pour un championnat. Jouer, oui ; apprendre aux autres, oui ; mais je ne voulais plus me battre pour gagner un point… Même si je n’étais pas enthousiaste, j’ai quand même fait un remplacement puis un deuxième et au troisième, je me suis dit: «Sapristi! Ca fait du bien les mouvements, bouger les jambes, sauter, ramasser une balle…».
Vos fils vous conseillent?
Non, ils rigolent quand ils me voient jouer comme une bobonne! (rires) Nous nous moquons les uns des autres! Ils voient que je sais encore bouger et tout ça. Mais lorsqu’ils sont dans la salle, je suis fort déstabilisée jusqu’à perdre le match. Et je n’aime pas non plus qu’on m’encourage.
Ca vous met la pression d’être une Saive?
C’est embêtant car l’adversaire gagne en adrénaline et en concentration de savoir qu’il pourrait battre un Saive, pas une mais un. Et s’il me bat, il fait un petit saut de joie! J’entends parfois dans les gradins: «Allez, Jean-Mi!». C’est d’un lourd… Je suis plus tranquille quand on ne me reconnaît pas.
C’est vous dans la lumière à présent. Votre vie a-t-elle changé?
Ecoutez, je vais paraître gros cou… Depuis que les enfants ont commencé on est sous les projecteurs, surtout quand Jean-Mi est devenu numéro un mondial en 1994. Qu’on parle d’eux ou de moi ou du ping-pong, c’est la promotion de ce sport qui m’intéresse et aussi inspirer les autres. Je deviens vraiment une acharnée de la promotion du sport pour les aînés tellement ça m’a fait du bien de m’y remettre. Le tennis de table, c’est intergénérationnel et convivial.
Comment est votre relation avec vos enfants aujourd’hui?
Bonne! On ne se voit pas beaucoup mais on s’envoie des trucs marrants via notre groupe familial sur un réseau social. Mon ex-mari avait aussi beaucoup d’humour. Là, j’ai l’air sérieuse mais je passe mon temps à me moquer de moi-même, l’autodérision en permanence. Comme je vis seule, j’informe mes fils de mes déplacements et eux font pareil. Jean-Mi, par exemple, qui s’est reconverti dans le cyclisme, m’envoie une photo quand il revient d’un tour pour que je sache qu’il est rentré entier.
De quoi discutez-vous ensemble à table?
Ils parlent de golf, leur hobby, du comité olympique... De tout mais jamais de ping-pong: on en a fait le tour. Ils me préviennent juste par message quand ils font un spectacle humoristique Showping avec les frères Taloche.
En famille, on s’amuse à lancer des balles de ping-pong dans des gobelets ou on joue à un jeu de société avec les enfants.
Jouez-vous parfois au ping-pong avec vos fils?
Non, sauf pour l’un ou l’autre reportage télévisé. Il n’y a pas de raison! Ils sont trop forts donc ils ne s’amuseraient pas à taper la baballe avec moi.
Vos petits-enfants y jouent?
Un sur trois: Robin, le fils de Philippe. C’est Obélix, il est tombé dans la marmite, je l’ai remarqué quand il était enfant. Maintenant, il a 23 ans et est policier. Le ping-pong n’est pas plus son truc qu’un autre sport. De toute façon, être «fils de» l’embêtait pour jouer…
Ca vous fait quoi d’être numéro un Belge en 75+?
Quand vous avez eu un numéro un mondial, c’est rien du tout de gagner dans la catégorie plus de 75 ans. Je suis contente par rapport à mes enfants. (émue...) Je n’imaginais pas qu’ils seraient à ce point fiers de moi. Ce jour-là, en mars dernier, le gagnant en plus de 80 ans a téléphoné à Jean-Mi pour lui annoncer que j’avais remporté le championnat de Belgique en 75+ et il a sauté dans sa voiture pour venir me remettre la médaille. Mes titres font plus plaisir à mes fils qu’à moi-même. Ma fierté, c’est la continuité familiale: comme moi, mes enfants veillent à la promotion du sport et des bonnes conditions de jeu. Philippe est échevin des sports à Ans et Jean-Mi président du Comité olympique et interfédéral belge (COIB).
Promouvoir le sport et inspirer les aînés m’intéresse plus que les médailles.» Jeannine Lonay
Vos prochains défis?
Le championnat de Belgique des 75 + de nouveau. J’aurai sans doute des douleurs car je me suis blessée à l’épaule mais ce n’est rien. Puis, il m’a semblé entendre qu’une réunion de famille avec mon frère et mes fils se préparait à Rome. Donc si les championnats mondiaux se déroulent là-bas, c’est cuit! (rires) Je suppute que mes fils m’inscrivent derrière mon dos… Je ne sais rien mais ce serait comique d’y participer. En tout cas, je compte prendre part au championnat de Belgique des plus de 80 ans. Tant pis si je perds. Je joue pour l’amour du sport et c’est tellement chouette de se retrouver entre anciens.
A quand la retraite sportive?
Ah, ben au cimetière! Tant que le corps est d’accord… En tout cas, tant que je peux bouger, je continuerai à aller regarder les entraînements des jeunes de mon club RTT Ans, les voir progresser et les supporter en compétition.
Qu’auriez-vous envie de dire à vos fils?
Quand on a des enfants polis, bien élevés, qui savent ce qu’ils veulent depuis le début et font tout pour y arriver, c’est une chance. Je suis une maman comblée…
Jeannine Lonay
– Naissance le 08/04/1947 au Congo
– 1960: Commence le ping-pong
– 1963: Etudes de publicité
– 1967-2000: Mariée à Jean-Paul Saive
– 1968: Titre de championne de Belgique (double dame B)
– 1969: Naissance de Jean-Michel
– 1971: Naissance de Philippe
– 2023: Championne de Belgique en 75+, en simple et mixte
– Fin 2023: Championne de la province de Liège en 75+, en simple et mixte
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