Rencontre avec la chanteuse Dani Klein: «J’ai compris qu’il n’y avait rien à comprendre»
Vaya Con Dios a surpris tout le monde en sortant, fin de l’an dernier, un nouvel album intitulé Shades of Joy. La chanteuse Dani Klein y évoque les leçons qu’elle a apprises tout au long de sa vie.
En 2014, Vaya Con Dios tirait sa révérence, clôturant l’aventure par une dernière tournée et l’album live Thank You All! Alors qu’elle s’était retirée dans la campagne andalouse, la crise sanitaire a amené Dani Klein à retrouver, un peu par hasard, ses musiciens Thierry Plas et François Garny. Confinés tous trois à Bruxelles, leurs jams pour combattre l’ennui ont finalement donné naissance à 11 nouvelles chansons.
L’album parle-t-il du vieillissement?
Oui, mais pas seulement. Il est question de ma vie telle qu’elle est aujourd’hui. J’ai 71 ans et elle n’est donc plus la même que celle que je menais à 40 ou même 50 ans. Le temps file, des amis plus âgés disparaissent. Quand ma mère me disait qu’il n’est pas facile de vieillir, je lui répondais qu’elle radotait un peu mais elle avait raison. Tant que vous êtes en bonne santé et que vous pouvez continuer à courir à gauche et à droite, tout va bien. Mais dès que surgissent des difficultés de mobilité, comme c’est le cas pour certains de mes amis, la vie devient vite nettement moins agréable.
Vous donnez l’impression d’avoir compris la vie...
J’ai surtout compris qu’il n’y avait rien à comprendre. À 47 ans, je me suis inscrite à l’université pour étudier la philosophie, ce qui a bien fait rire un de mes amis: «Comme s’il y avait quelque chose à comprendre!» Je pense que cette petite phrase a été le meilleur cours de philosophie de toute ma vie.
Dans It Isn’t Gonna be that Way, vous chantez qu’on peut avoir des espoirs et des rêves, mais que la vie vous a appris qu’ils ne se réalisent pas.
George Bernard Shaw (dramaturge irlandais, ndlr) a dit un jour: «Il y a deux tragédies dans la vie: perdre son rêve et réaliser son rêve.» Et c’est vrai. Que vous reste-t-il à accomplir une fois que votre plus grand rêve s’est concrétisé? Ceci dit, si vous avez des attentes par rapport à la vie, si vous essayez d’imaginer ce qu’elle devrait être, il est rare que les choses se déroulent comme vous l’aimeriez. Pourtant, nous ne sommes pas élevés pour vivre sans attentes. Il est presque obligatoire d’avoir un objectif. Dès l’enfance, on nous demande ce que nous voulons devenir plus tard.
Enfant, vous rêviez de faire de la musique?
Je ne pouvais pas imaginer ce que c’était que de devenir chanteuse. Ce n’était pas une occupation sérieuse, on ne gagnait pas d’argent en chantant. À l’époque, les chanteuses célèbres ne venaient pas non plus de Bruxelles. Je n’avais donc pas d’exemples dont m’inspirer. Mais j’ai toujours eu l’envie de chanter et, inconsciemment, l’envie de devenir chanteuse. Mais je ne voyais pas comment ce serait possible.
Vous avez pourtant multiplié les expériences avant de percer véritablement. Vous avez même chanté dans un groupe de hard rock.
Je chantais partout et tout le temps. J’ai enregistré un single avec mon groupe, qui s’est vendu à 24 exemplaires à l’époque. Je chantais aussi pour des spots publicitaires et j’ai été de l’aventure Arbeid Adelt! (un groupe flamand de musique électro-absurde, ndlr). J’étais donc souvent en studio et, un jour, le chanteur d’un groupe de hard rock qui enregistrait dans ce studio a claqué la porte. On m’a demandé de le remplacer. Le hard rock n’était pas du tout mon truc, mais je me suis dit que je préférais chanter du hard rock plutôt que de ne pas chanter du tout. Heureusement, ce groupe n’a eu aucun succès.
J’ai lu que vous aviez été fortement influencée par la musique qu’écoutait votre père.
Mon père écoutait beaucoup de genres différents et cela a façonné mes goûts musicaux. Je m’intéressais à la musique qui passait à la radio, mais aussi à celle d’autres pays, d’autres cultures. Chez les disquaires, je farfouillais toujours dans le plus petit bac, celui de la world music. J’ai découvert ainsi beaucoup de choses que j’ai utilisées plus tard dans mes chansons.
Dans Always Something Missing, vous parlez de vos expériences pour vous trouver vous-même: l’alcool, la drogue, les hommes, la psychanalyse... Y a-t-il des moyens qui ont mieux fonctionné que d’autres?
Je pense que c’est la combinaison de tous ces éléments qui m’a aidée. Le voyage a été long, mais j’ai tiré quelque chose de toutes mes expériences.
Le mot regret ne figure pas dans votre dictionnaire?
Rétrospectivement, non. Mais lorsque vous buvez trop ou que vous prenez trop de drogues, il arrive toujours un moment où vous vous dites qu’il faut arrêter. Je suis capable d’arrêter à temps et c’est peut-être parce que j’ai étudié la psychanalyse. Tout est lié. Mais c’est aussi une question de chance. Je ne conseille à personne de se droguer. C’est dangereux. J’ai la chance de posséder un organisme qui ne me rende pas rapidement dépendante. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.
Vous parlez aussi de l’amour, ou des hommes, comme d’une addiction. Donc de quelque chose de toxique.
Pour moi, en tout cas. J’étais incapable de vivre seule. J’ai toujours eu besoin d’un homme. Pas seulement pour le sexe, mais pour combler ce vide en moi. Un homme peut y arriver pendant un certain temps mais, au bout du compte, rien ne remplit ce vide. Il faut apprendre à l’accepter. C’est pour cette raison que j’ai déménagé en Espagne. J’y avais une maison où je vivais à temps partiel. Je voulais vivre près de la nature, apprendre à être seule. Cela m’a été très bénéfique. Je me suis vraiment détendue là-bas. Je faisais de la confiture, je m’occupais de mes chiens. Aujourd’hui je vis à nouveau Bruxelles car gérer deux maisons était devenu trop difficile. Mais je poursuis ici le chemin que j’ai commencé en Espagne.
En Espagne, vous vous êtes intéressée au sort des chiens errants et en avez même adopté trois.
Il y a tellement de chiens errants que j’aurais pu adopter un chien tous les jours. Beaucoup d’Espagnols utilisent des chiens pour la chasse ou les courses et les abandonnent quand ils ne leur servent plus. Le chien d’un voisin est resté attaché à une chaîne toute sa vie. Je soutiens l’association All4dogs, qui cherche des familles d’adoption en Belgique pour ces chiens errants.
Vous dites aux gens que vous jugez la situation révoltante?
Oh oui! Je ne peux pas me taire. Un jour, j’ai trouvé un berger allemand devant chez moi. Il était mal en point. Je l’ai lavé, traité contre les tiques et les puces, je lui ai donné à manger et à boire... Deux jours plus tard, un homme ivre s’est présenté pour le récupérer. Il a attrapé une corde et a voulu le frapper. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai lui arraché la corde des mains et je l’ai frappé sur les fesses. Tant que la loi autorisera la maltraitance des animaux, les mentalités ne changeront pas.
Cet amour pour les chiens vous a-t-il amenée à vous intéresser davantage au bien-être animal en général?
J’y suis évidemment très sensible. Je pense que nous traitons les animaux de manière terrible. La façon dont on produit notre viande est scandaleuse. J’essaie d’ailleurs d’en manger le moins possible. Mais si je pousse le raisonnement, je ne devrais pas non plus manger de fromage ou porter de chaussures en cuir. Ce n’est pas facile. Je pense que nos choix influencent les décisions de nos politiciens. Je crois au pouvoir des masses mais cela prend beaucoup de temps.
Revenons-en à la musique. Pensez-vous tourner avec le nouvel album?
Les tournées sont éreintantes. Je n’en ai plus fait depuis 2014. Monter un groupe de scène, répéter... c’est énormément de travail et je ne sais pas si, en ce moment, j’ai suffisamment d’énergie pour replonger dans le grand bain.
Vous n’enviez donc pas les Stones qui remplissent encore les stades à 80 ans bien sonnés?
Je ne suis jalouse de personne. Vraiment. Je pense que c’est bien pour eux, mais cela n’a rien à voir avec ce que je suis. Je trouve chouette que les préjugés à l’égard des personnes âgées semblent diminuer. Il y a un peu moins de discrimination, même s’il y a encore du chemin. Personne ne leur demande leur avis, mais les personnes âgées veulent avoir leur mot à dire, quand bien même leur espérance de vie est réduite à cinq, dix ou quinze ans. On décide à leur place: où elles doivent vivre, ce qu’elles doivent manger, l’heure à laquelle elles doivent se coucher...
Je ne parle pas ici des personnes atteintes de troubles cognitifs mais de celles qui, tout en ayant des difficultés fonctionnelles, sont encore parfaitement capables de décider pour elles-mêmes. Je l’ai vécu avec ma mère. Elle était hospitalisée pour une maladie grave et j’ai été horrifiée de la manière dont les infirmières s’adressaient à elle. Cela m’a mise hors de moi.
Vous serez une nonagénaire plutôt pénible alors?
Je l’espère!
Dani Klein
Née Danielle Schoovaerts, le 1er janvier 1953
Privé: Mère de Simon Schoovaerts, producteur et musicien de Stromae et d’autres groupes.
– 1979: Hommage à Jacques Brel en duo avec Maurane
– 1984: Chanteuse du groupe Arbeid Adelt!
– 1986: Perce avec Vaya Con Dios, un projet musical mené avec le guitariste Willy Willy et le bassiste Dirk Schoufs. Leur premier single, Just a Friend of Mine, rencontre un succès international.
– Succès en singles: Nah Neh Nah, Don’t Cry for Louie, Puerto Rico, Johnny, What’s a Woman, Heading for a Fall
– 1999: Forme le groupe Purple Prose
– 2014: Tournée d’adieu avec Vaya Con Dios
– 2023: Reçoit un Music Industry Award (MIAs) pour l’ensemble de sa carrière
– Nouvel album Shades of Joy avec Vaya Con Dios
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