© SOPHIE NUYTTEN

Rencontre avec le sommelier Eric Boschman, pour qui « le vin est un lubrifiant social! »

Il raconte sa passion du vin sur scène, sur papier, lors d’événements variés... Coup de projecteur sur le sommelier hédoniste Eric Boschman.

En tournée en Belgique, en France et même au Canada avec son premier seul en scène « Ni Dieux ni maîtres mais du rouge » (déjà joué plus de 350 fois !), et aussi sur les planches avec « L’âge de bière », le sommelier médiatique, qui a travaillé autrefois pour de grands restaurants comme Romeyer et Bruneau, nous reçoit en matinée dans sa maison uccloise. Le sympathique quinquagénaire touche-à-tout se dévoile en sirotant une menthe à l’eau au royaume des bouteilles de toutes sortes qui trônent dans les armoires, sur les tables, au sol, sur l’appui de fenêtre, sur la terrasse...

Avec  » Ni Dieux ni maîtres mais du rouge « , vous avez lancé un nouveau concept : un spectacle avec dégustations de vins...

Oui, c’est un stand up éducatif, très interactif, qui parle d’histoire, de politique, de religion, qui va en dessous de la ceinture et, en même temps, tout ce que je dis est vrai. Je plaisante même un peu autour des attentats terroristes qu’il y a eu chez nous parce que le rire est la meilleure thérapie. Parfois, il y a des silences dans la salle mais je ne me suis pas encore fait frapper ! (rires) Mon spectacle n’étant pas écrit, il est toujours différent. C’est fantastique de faire rire des gens que je ne connais pas, qui ne me connaissent pas et ne m’attendent pas là. La scène, c’est la plus pure drogue du monde ! J’ai toujours choisi de me faire plaisir...

Je goûte 4.000 échantillons par an.

D’où vient cette passion pour le vin ?

Mes parents avaient un restaurant, Le Grand Ryeu, dans la région de Chimay, mes grands-parents aussi, mon frère a repris le resto de mes parents, mes neveux sont dans la restauration... Tous en cuisine ! Moi, j’ai travaillé en salle avec mes parents. Comme j’ai beaucoup de mal avec la routine, je suis incapable de faire deux fois la même chose donc je n’ai pas l’âme d’un cuisinier. Puis je parle beaucoup trop, c’est un endroit en tension permanente et moi la tension je l’évacue en riant ! En sortant de l’école hôteliere, j’ai ressenti un besoin d’évasion... Le vin est la plus chouette source d’évasion que j’ai croisée de ma vie car on ne fait jamais le tour de la question.

Et puis je crois qu’il y a aussi une question d’orgueil dans les raisons qui m’ont poussé à devenir sommelier. Mon papa, cuisinier incroyablement cultivé que je respecte éminement, buvait beaucoup. Maintenant, il consomme du vin sans alcool. J’ai voulu montrer que moi je pouvais vivre avec le produit. Tous les jours, je goûte des vins que je n’ai jamais goûtés, soit quelque 4.000 échantillons par an. Le bonheur !

Jamais ivre alors ?

Sans déconner, j’ai été soûl une fois dans ma vie, j’avais 19 ans. J’étais vraiment mal... Aujourd’hui, en raison de ma carcasse, je n’ai pas la tête qui tourne avec deux verres de bière mais je fais très attention. Mon permis de conduire et moi, on a relation difficile. Pas à cause de l’alcool mais de la vitesse !

Dans la vie, qu’est-ce qui vous enivre de joie et, au contraire, vous soûle ?

Etre avec ma fille de 28 ans, on se voit peu parce qu’elle vit en Ecosse. J’aime aussi m’arrêter sur le bord de la route pour photographier un beau coucher de soleil. La lumière me rend heureux ! Ce qui me rend extrêmement malheureux, c’est le repli sur soi et la bêtise de nos contemporains par rapport au phénomène migratoire et tout ça. La montée de l’extrême droite me rend fou ! Quand je parle politique, je peux m’énerver.

Revenons-en au vin alors ! Pourquoi vous plaît-il tant ?

C’est un univers en perpétuel extension. Il n’y a pas de certitude dans le vin, tout est remis en cause chaque année, il y a des tendances, des modes... Il faut tout le temps interpréter et comprendre, rencontrer les gens. Le vin, c’est de la transmission et un lubrifiant social ! Ça rapproche les gens. L’expression  » in vino veritas  » est tellement vraie : avec deux coups dans la cafetière, plein de gens se libèrent !

Des conseils pour avoir l’air de s’y connaître ?

Quand on goûte un blanc, il faut dire  » C’est minéral « , ça ne veut rien dire mais cela fait plaisir à tout le monde, et  » -C’est tendu », ça signifie acide mais de façon plus chic. Pour les rouges, on peut dire « Les tanins sont sur le fruit » ou « Les beaux tanins, bien mûrs ». Et mieux vaut être dans la souffrance, très sérieux, en disant cela. Là, vous êtes à l’aise, hein ! Mais si vous ne dites pas ces mots au bon moment, vous avez l’air d’un schtroumpf ! (rires)

Bio Express

Rencontre avec le sommelier Eric Boschman, pour qui
© SOPHIE NUYTTEN

1964 : Naissance à Charleroi

1979-1984 : Ecole hôtelière de Namur

1987-1989 : Travaille notamment pour Romeyer et Bruneau

1988 : Meilleur sommelier et meilleur maître d’hôtel de Belgique

1990 : Naissance de sa fille Laury-Anne

2000 : Premier livre : « La novice et le sommelier »

Depuis 2014 : Spectacle : « Ni Dieux ni maîtres mais du rouge »

Depuis 2018 : Spectacle : « L’âge de bière »

2019 : Livre: « Almanach insolite et gourmand de Wallonie »

Ne trouvez-vous pas que tout ce jargon pour décrire un vin est exagéré ?

Bien sûr, ce côté un peu superfétatoire dans le langage est un des drames de la sommellerie contemporaine et du monde du vin. Il faut parler aux gens avec des mots simples sans les prendre pour des cons. Le jargon, c’est chiant ! Quand on doit placer une bibine, il faut parler avec ses tripes, pas juste avec un catalogue.

Vous avez été sacré meilleur sommelier de Belgique en 1988. Pourquoi ne participez-vous plus aux concours ?

Aujourd’hui, un championnat du monde demande au minimum trois ans de préparation ! Je n’ai plus la gniaque pour faire des concours, pour passer des nuits à étudier.

Et ouvrir un restaurant ?

Non, car en vieillissant je pense que je vais manquer de patience face aux clients ! C’est d’ailleurs à cause d’un vin et d’un client que j’ai quitté la grande restauration. J’étais sommelier à l’Oasis, un restaurant bruxellois doublement étoilé qui n’existe plus. Un jour, j’ai proposé un vin espagnol à un client qui m’a alors regardé comme si j’étais une merde au bout de sa chaussure. A la fin du service, j’ai annoncé au directeur que je partais parce que sinon j’allais finir par tuer un client !

Que trouve-t-on dans votre frigo ?

Le filet américain du boucher au bout de ma rue, un pot de confiture que ma mère fait mais que je ne mange pas car je la trouve trop liquide, j’ai souvent de la soupe car je fais beaucoup de potages... Puis, il y a toujours des vins et de la bière en attente de dégustation !

Cuisinez-vous tous les jours ?

Non, je ne suis jamais là ! Je cuisine surtout quand j’ai des clients qui viennent pour des dégustations accords mets et vins, puis j’ai toujours cuisiné pour mes compagnes. Ma malédiction, c’est que je tombe sur des femmes qui ne savent pas cuisiner ! Et, souvent, je m’y colle quand il y a des repas de famille.

Avez-vous transmis votre passion à votre fille ?

J’aurais bien voulu qu’on bosse ensemble car Laury-Anne est aussi passionnée que moi et elle a vraiment un bon palais mais elle a choisi une autre voie. Elle a étudié la biologie animale à l’université d’Edimbourg et, là, elle envisage de reprendre la ferme des parents de son compagnon afin de remonter aux origines des vaches écossaises pour faire une viande hyper qualitative, hyper rustique, bio évidemment. Ma fille a chopé mon amour des bons produits. Et elle me ramène toujours des whiskys quand elle revient en Belgique ! (rires)

Vous a-t-il traversé l’esprit de rejoindre votre frère dans son restaurant ?

A un moment, j’y ai pensé mais nous n’avons pas du tout les mêmes visions et, comme nous nous entendons très bien, ce n’est pas la peine de nous fâcher.

Des projets sur le feu ?

J’ai des pistes pour faire une émission radio, cet été, portant sur le Tour de France à travers la gastronomie et le tourisme mais pas le sport. Fin de l’année, je vais sortir un bouquin qui s’intitulera  » 50 nuances de gras « . Il comportera 50 recettes et 50 petites nouvelles à connotation vaguement érotique pour rester dans l’esprit  » 50 nuances de gris « . Par ailleurs, en mars, je présenterai mon spectacle  » Ni Dieux ni maîtres mais du rouge  » au Cirque royal au profit de cinq associations avec lesquelles je collabore. J’ambitionne de remettre 20.000 ? à chacune d’elles. Le plus grand défi de ma vie !

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