Rencontre avec l’explorateur Alain Hubert: “Il faut faire rêver les jeunes !”
Fraîchement récompensé pour sa contribution exceptionnelle à la science polaire, l’explorateur part chaque année en Antarctique. Il dévoile sa vie et un gros projet.
Au lendemain de l’inauguration d’une exposition sur les 125 ans de l’hivernage du trois-mâts Belgica en Antarctique, Alain Hubert nous reçoit à Bruxelles, à la Fondation polaire internationale. Une fondation créée avec son épouse en 2002 avant de construire, au Pôle Sud, la révolutionnaire station Princess Elisabeth, seule base scientifique polaire zéro émission au monde.
Vous venez de recevoir la prestigieuse médaille Belgica, en reconnaissance de votre contribution à la science polaire. Ca représente quoi?
C’est un honneur et un privilège d’avoir pu contribuer à la tradition de l’exploration polaire belge et de la recherche polaire internationale initiée par Adrien de Gerlache, et de pouvoir aider les scientifiques à bénéficier d’une plateforme pour élargir leurs différents domaines de recherche en milieu polaire. Recevoir cette reconnaissance de la Classe des Sciences de l’Académie royale de Belgique est aussi un encouragement à continuer. La Fondation a été créée comme une plateforme entre la société et la science afin d’expliquer au public et aux autorités l’importance de la science polaire dans la compréhension des changements climatiques, pour une meilleure efficacité des actions à mener. Grâce à la recherche polaire et à la mémoire des glaces -on a relevé la concentration en CO2 dans les bulles d’air des carottes- on connaît la cause du problème: elle est anthropique et essentiellement causée par l’exploitation des énergies fossiles. L’équilibre thermodynamique de notre planète est fragile, nous sommes ici comme hôtes et pour y rester il faut changer notre comportement par rapport à l’énergie! Ma génération a grandi dans un monde sans limites, où tout était possible dans une société occidentale en croissance. Mais aujourd’hui, on connaît donc les limites du système, on sait qu’on est la cause du problème et qu’on en est la solution. On est face à nous-mêmes! Et ce n’est qu’ensemble que nous pouvons agir plus efficacement. Nous devrions, par exemple, pouvoir responsabiliser les entités régionales, communales, par rapport à la gestion collective de l’énergie en liant la fiscalité à l’excellence de la réalisation d’objectifs environnementaux à cinq, dix, quinze ans. L’avantage financier qui en résulterait motiverait tout un chacun à être meilleur. L’écologie doit être positive et non punitive.
Comment êtes-vous devenu explorateur polaire?
J’ai passé mon enfance au bord de la forêt de Soignes, à Boitsfort. Mes premières expéditions, c’était dans les bois! Il y avait un mètre de neige en hiver, rien à voir avec aujourd’hui. Je faisais énormément de sport. J’étais un garçon turbulent mais très bon à l’école. (rires) J’étais un challenger et le suis toujours... A 15 ans, j’ai découvert la montagne lors de vacances en famille à l’étranger. Un bouleversement! Je suis devenu alpiniste puis guide de haute montagne. Plus tard, ce fut l’Himalaya avec de nombreuses expéditions et la confrontation à la Nature, celle qui ne pardonne pas l’erreur. Une formidable école de vie. A 38 ans, je rêvais d’aller au Pôle Nord car mon père avait dans sa bibliothèque un livre consacré à la vie impressionnante d’un explorateur polaire norvégien, Amundsen. Fort de l’expérience acquise en montagne, je me suis dit: pourquoi pas moi? D’ailleurs, je conseille souvent aux jeunes: «Si vous avez un rêve, gardez-le en tête et n’écoutez pas les adultes qui diront que ce n’est pas raisonnable». Une fois au Pôle Nord, j’ai voulu aller voir le Pôle Sud. En 1998, j’ai effectué, avec mon ami Dixie Dansercoer (décédé en 2021), la plus grande traversée du continent antarctique, soit quelque 4.000 km en autonomie, un défi qui n’a été possible qu’avec le développement de la première aile simple surface. C’était l’époque des pionniers du kitesurf.
Puis vous avez créé la Fondation…
Oui, pour plusieurs raisons dont une qui m’a fort touchée. Après ma traversée de l’Antarctique, j’ai vu des gamins jouer à l’explorateur polaire dans les rues de Bruxelles, en tirant une caisse en bois avec le nom de mon sponsor de l’époque et des bâtons en main! Je me suis dit que si je fais rêver les jeunes, je vais alors leur partager mes convictions, ce que moi j’ai appris sur le rôle de la science polaire dans la compréhension des changements climatiques. On a donc créé la Fondation pour développer des outils éducatifs sur les régions polaires. Ensuite, en 2007, on a construit la station Princess Elisabeth avec de l’argent privé avant de la donner à l’Etat belge en en gardant une part et en la gérant ensemble. Cela a suscité des jalousies qui m’ont valu des ennuis. Soupçonné de conflit d’intérêts, j’ai été complètement blanchi. Je reste un partisan du partenariat public-privé car c’est ensemble qu’il faut faire bouger les choses. On a d’ailleurs un nouveau grand projet avec la Fondation!
On va construire, en Antarctique, la 2e station zéro émission au monde, et y ouvrir une université.Alain Hubert
Quel projet?
A l’initiative de la Fondation, et parce que nous pensons qu’avec l’expérience acquise nous pouvons aller beaucoup plus loin, on va construire, en Antarctique, la deuxième station zéro émission beaucoup plus avancée au niveau environnemental, de la circularité et de la technologie. Cette station presque spatiale s’appellera Andromeda et sera inaugurée en 2032-2033 lors de la prochaine année polaire internationale. Cette station internationale accueillera la première université antarctique grâce à un partenariat avec une quinzaine d’universités dans le monde! Elle sera ouverte à tous avec un département de recherche et développement et un département de recherche environnementale. Ce projet va renforcer la position de leadership de la Belgique dans le monde par rapport à l’environnement et à la technologie, et à son utilisation au niveau des énergies renouvelables. Avec un tel projet, on attirera les meilleurs scientifiques du monde! Nous pouvons en être très fiers, en tant que Belges, car nous posons les bases du futur en Antarctique. Il est important de faire rêver les jeunes pour construire l’avenir.
Vous comptez une vingtaine d’expéditions en Antarctique. A quoi ressemble votre vie là-bas?
Je pars à la station l’été, donc de fin octobre à fin février, car il y fait jour pendant 24h. Au début de la saison, il fait environ -25°C dehors sans le vent puis ça remonte au plus fort de l’été à -8°C. Là, je suis le chef de la station et avec toute l’équipe technique, nous soutenons les scientifiques -une trentaine par saison, de diverses nationalités -logistiquement, techniquement et au niveau de la sécurité. Il n’y a que 2% de roches en Antarctique, le reste c’est de la glace, des crevasses, il y a le mauvais temps, l’absence de routes... Nous sommes plusieurs guides de montagne et techniciens pour les accompagner en mission, jusqu’à 600 km de la station, en motoneige ou encore en tracteur. C’est une grande famille en Antarctique et les domaines de recherche sont nombreux: géologie, magnétisme, sismologie, biologie marine, terrestre, etc. On ne s’ennuie pas! Lors de la prochaine saison, on aura deux grosses expéditions dont une dans les Monts Belgica, à 350 km de la station. On va souvent dans des endroits où personne n’est jamais allé. C’est génial!
Depuis la chute mortelle de Dixie Dansercoer dans une crevasse, pensez-vous davantage aux risques de votre métier?
Dixie était comme un frère. J’ai gardé des contacts avec sa famille. Cela peut aussi m’arriver demain. Oui, la nature est dangereuse mais elle est également un milieu de ressources. On se bat contre soi-même pas contre un autre. Le physique et l’expérience sont très importants, le mental encore plus. Mais cela reste un environnement où le danger est permanent.
Si vous deviez retenir un seul enseignement de vos expéditions?
Plus je sais, plus je sais que je ne sais pas. En tant qu’humain, je suis un petit point dans l’histoire de cette planète. Cette humilité appelle à plus de volonté de coopération par rapport aux objectifs de nos sociétés. Ma vie m’a permis de fréquenter la nature comme elle est, maître du jeu. On peut prendre conscience intellectuellement que l’humain est minuscule face à la nature mais quand on a la chance de le vivre, c’est peut-être encore plus fort.
Vous vous sentez mieux en Belgique ou en Antarctique?
Je suis mieux dans la nature mais je serais culotté de me plaindre alors que j’ai la chance d’avoir vécu mes rêves et d’être, à 70 ans, dans une dynamique d’équipe intergénérationnelle. Je vais beaucoup dans les écoles raconter mon expérience pour faire rêver les jeunes. Et je suis fier quand des enfants me lancent: «Ah, Monsieur, toi tu habites au Pôle Sud!». A l’autre Pôle, c’est le Père Noël! (rires). Les jeunes posent des bonnes questions qui vous remettent en question, c’est magnifique. Pour le reste, quand je suis en Belgique, je cours dans la forêt de Soignes et je passe ma vie à rencontrer des gens, à chercher des fonds pour nos projets.
A quand la retraite?
J’ai bien peur que ce temps ne viendra pas! J’ai la chance d’avoir une bonne santé, donc touchons du bois. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre et il faut d’abord mettre la nouvelle génération en place.
Vos enfants suivent-ils votre voie?
Non et heureusement car je suis un fou! (rires) L’important, c’est de leur avoir transmis la fibre environnementale. Martin, 46 ans, est consultant en informatique et digitalisation, Gaëlle, 44 ans, docteur en sociologie, et Emilie, 42 ans, professeur de français. Cet été, j’emmène cinq de mes petits-enfants et ma mère qui aura presque 92 ans pour un trekking au Népal. Ça va être sympa!
Alain Hubert
– 1953: Naissance à Schaerbeek
– 1977: Diplômé ingénieur civil
– 1998: Réalise la plus grande traversée de l’Antarctique avec Dixie Dansercoer
– 2002: Fondateur avec son épouse Nighat Amin de la Fondation polaire internationale dont il est le président
– 2007: Création de la station Princess Elisabeth, 1ère station zéro émission
– 2024: Reçoit la prestigieuse médaille d’or de la Belgica
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