© mayli sterkendries

Rencontre avec Marie Daulne, alias Zap Mama, qui balance de la joie dans les haut-parleurs

Trente ans après avoir créé Zap Mama, Marie Daulne sort un nouvel album, « Odyssée ». Zapping dans le parcours de l’artiste solaire.

1964, Nord-Est de la République du Congo. Le père de Marie Daulne est tué par des rebelles. A trois mois, elle arrive en Belgique avec sa famille. Elle grandira avec ses racines africaines d’abord en Ardennes puis à Bruxelles. De ce métissage culturel naîtra, en 1990, le groupe Zap Mama. Et le succès fut mondial!

Vous sortez votre 9e album, lumineux, chaleureux et entraînant... Reflète-t-il votre état d’esprit?

Oui, après avoir passé dix ans aux Etats-Unis, je suis revenue en Belgique, en 2010, pour vivre ma vie de maman à côté de mes deux enfants. J’ai choisi d’écrire un album en français pour manifester des émotions reflétant le petit quotidien et racontant, en même temps, des histoires du passé sans être lourde, trop moraliste. Une chanson aborde, avec une touche d’humour, la 5G qui nous entoure ; une autre, « Ami » – que je chante avec mon fils – parle de profiter du temps et des proches qui s’en vont avec les années ; ou encore « Je t’ai dessiné », une chanson faisant appel à l’imaginaire car, en prenant de l’âge, la poésie prend une importance encore plus grande. Par ailleurs, je reprends la chanson d’Adamo « Dans le regard d’une femme » car je la trouve vraiment incroyable! Pour ce nouvel album, j’ai voulu une rythmique stimulante, une musique qui donne la pêche et envie de se bouger. Je veux balancer du positif dans les haut-parleurs!

Afro-pop, latino, hip-hop, soul, jazz... Vous avez exploré de nombreux genres musicaux dans votre carrière. D’où vient l’envie de chanter?

Le chant était très présent dans ma famille, tant du côté belge que congolais. Réalisant que je pouvais en faire un métier, j’ai appris les codes et possibilités dans une école. Et, quand j’étais étudiante, j’ai donné des cours de chants polyphoniques africains, à Bruxelles. J’enseignais d’abord à des enfants puis des parents de plus en plus nombreux ont voulu suivre mes cours. Ca n’existait pas à l’époque! Chanter ensemble permet de se connecter avec d’autres, de s’ouvrir aux autres mondes, de s’harmoniser, d’être bien ensemble... Je l’ai vécu comme un message activiste humaniste plutôt qu’un cours de chant pour l’esthétisme en soi. C’est là que je me suis rendu compte de ma chance d’avoir eu cette éducation de double culture: elle me permettait d’accéder à l’une et l’autre, à travers des chants que j’ai réarrangés en y mettant un peu d’européen et d’africain. Puis, on a commencé à me conseiller de donner des concerts. J’ai alors lancer des auditions pour monter un groupe de chant a capella. Et, à cinq filles, nous sommes devenues Zap Mama. Dès le premier concert à Ixelles, woup, ça s’est emballé très vite mondialement. On n’a rien compris! Je n’ai qu’une explication: être au bon moment au bon endroit.

Pourquoi le nom Zap Mama?

« Z » est ma lettre préférée. J’aime le son « zzz ». J’ai appelé ma fille Kezia et mon fils Zékyé. Dans la communauté afro, on s’appelait les « Z », car c’était le Zaïre à l’époque. On disait entre nous, c’est « un Z » pour ne pas dire un Noir. « Mama » car on est toutes liées par la Mama Terre. J’aime la nature et on naît tous à travers une maman. Puis « Zap » pour changer d’une culture à une autre.

Je voulais proposer une nouvelle façon de voir le métissage. » Marie Daulne

Au début, votre groupe a été créé pour passer un message?

Oui, faire évoluer les mentalités, proposer au monde une nouvelle façon de voir le métissage, rééquilibrer la vision de la culture africaine par rapport aux propagandes laissées par le colonialisme. En tant que métissée et via Zap Mama, je voulais montrer que les deux cultures se valent, que dans chacune il y a des richesses et des pauvretés. D’où le terme afropéanité que j’ai lancé. Une notion évidente puisque le terme Afro-américain existait déjà. Quand j’enseignais le jazz au Conservatoire de Gand, je faisais remarquer à mes élèves que toutes les références étaient afro-américaines: Nina Simone, Billie Holiday, etc. Il faut qu’on soit plus fiers, nous les Belges, de raconter notre histoire. J’ai amené de la musique belgo-congolaise et je suis contente car, maintenant, les chants a capella de Zap Mama figurent au programme des académies. ça, c’est notre jazz à nous!

Donnez-vous toujours des cours de chants polyphoniques?

Là, je me suis plutôt lancée dans l’ethnothérapie vocale. Il s’agit de libérer des tensions, des traumas, à travers le chant, des respirations et de la danse. Je m’inspire de la musique asiatique, africaine et européenne pour faire des compositions qui mélangent un peu l’essence de chacune d’elle. On oxygène le corps, on trouve le bien-être, en faisant des mouvements, des sortes de rituels. Ce mot « rituel », qui a pu faire peur tellement il a été déformé par le colonialisme, est aujourd’hui devenu intéressant. J’ai donné ce type de séances aux Etats-Unis et puis virtuellement depuis la Belgique, pendant la crise du covid. Je vais maintenant en proposer en présentiel, à Bruxelles.

Collaborez-vous avec des organisations humanitaires?

J’ai notamment collaboré avec Care.org (qui combat la pauvreté et la faim dans le monde) en intégrant des femmes maliennes dans un clip vidéo pour montrer le bien-être que leur procurait cette organisation: celle-ci recevait de l’argent à chaque téléchargement de la chanson que j’avais composée pour cette campagne. Par ailleurs, j’ai récemment fait un atelier de musicothérapie pour le Global Survivors Fund, une organisation contre la violence faite aux femmes. J’ai créé une chanson avec des femmes, devenues militantes, originaires d’une vingtaine de pays dont l’Ukraine, le Congo, l’Equateur, la Belgique... Elles ont composé les paroles et j’ai animé la voix et les harmonies.

Vous êtes aussi allée cet été en mission au Congo RDC...

Oui, j’ai donné un atelier de musicothérapie à des jeunes filles – ce n’est pas facile à dire – « survivantes » que le Docteur Mukwege (Prix Nobel de la Paix 2018, surnommé « l’homme qui répare les femmes » des mutilations génitales, ndlr) a accueillies à l’Hôpital de Panzi. Mon rôle était de les aider à détraumatiser, à se réinsérer dans une communauté. Pour une réinsertion dans la vie socio-économique, il faut leur donner la possibilité d’imaginer un monde plus en paix et trouver des petits accès pour rebalancer leur énergie quand les flashs du passé reviennent. Cette expérience m’a énormément enrichie! J’ai envie d’y retourner pour donner ces ateliers et pour former des locaux. Car, là-bas, j’ai rencontré des musicothérapeutes qui avaient une approche bien plus occidentale que ma méthode. Je leur ai conseillé d’amener le côté ethnique puisqu’on est en Afrique. C’est important que le peuple s’y retrouve...

Vous avez été nominée aux Grammy Awards et chanté avec des artistes aux quatre coins du monde. Si vous deviez retenir une seule anecdote?

Oh, j’en ai plein! Il y a Stevie Wonder qui voulait me mettre en couple avec son fils ou Prince qui a privatisé la boîte « Les Jeux d’Hiver » pour me remercier d’avoir laissé ma bassiste rejoindre son groupe. On a parlé de musique et écouté des morceaux toute la nuit...

Ma mission de musicothérapie au Congo m’a enrichie » Marie Daulne

Pensez-vous avoir fait des émules parmi des artistes?

Oui, des éléments ethniques ont été intégrés dans l’univers du hip-hop américain. En Belgique, je sens que Stromae a eu un peu de Zap Mama en lui, ça s’entend dans les accords et dans la structure. Il a poussé la démarche plus loin, lui: il a amené l’électronique, le tissu africain avec des couleurs plus accessibles à l’Européen... Je trouve ça super! On s’est rencontré plusieurs fois. Il m’a dit que sa soeur était la Nanny de ma fille, durant plusieurs mois à New York. Stromae est un talent extraordinaire avec qui j’aimerais bien chanter.

Vos enfants suivent vos traces...

Mon fils, encore étudiant, chante très bien mais je pense qu’il se dirige plus vers la production. Il est très créatif. Ma fille a lancé sa propre carrière de chanteuse après avoir suivi des études de communication. Elle me donne beaucoup de conseils en communication, sur les réseaux sociaux notamment, et moi je lui donne des conseils surtout sur l’état mental: comment vivre les succès, saisir les opportunités, etc.

Que représente la musique?

Un moyen de passer des messages positifs de manière invisible parce que je suis définitivement une personne positive qui veut balancer ce monde. Quand on voit les horribles choses qui se passent sur Terre, il faut vraiment un contre-poids, créer encore plus de joie. Donc, au boulot! Je fais partie de cette armée-là avec mes chansons et mes actions au quotidien. La musique, c’est un fameux pouvoir comme celui de faire peur dans les news et les films. La voix, c’est l’identité de l’âme.

Vous avez contribué à des musiques de films dont « Mission Impossible 2 ». Des projets dans ce domaine?

Oui, je rêve de pouvoir faire de plus en plus de musiques de films. Là, je viens de signer pour des dessins animés. Je ne peux pas encore en parler mais c’est magnifique de parler aux enfants, de leur créer des rêves... Ce qu’on vit dans notre jeunesse crée notre vie d’adulte.

Vous approchez les 60 ans. Un cap?

C’est loin! (rires) J’imagine, oui... J’écoute les anciens car il y a des nonagénaires dans ma famille. Le plus difficile a été le lien avec le corps. Je me prépare à ralentir. Je fais du yoga, des étirements... Je suis une ancienne athlète. J’ai toujours été très acrobate sur scène mais maintenant j’entends des « cracs » et, le matin, tout est coincé!

Un message pour nos lecteurs?

Profitez de la vie et osez porter une couleur dont vous n’avez pas l’habitude. J’aime beaucoup la mode. J’essaye de montrer l’exemple que dans nos fifties, il ne faut pas s’habiller comme des bobonnes. Osez une petite fantaisie! Osez aussi un plat que vous n’avez jamais fait et si c’est raté, tant pis, riez!

Marie Daulne

  • 20/10/1964 – Naissance à Isiro (Congo RDC)
  • 1984 – Ecole des Beaux-Arts, Bruxelles
  • 1987 – Ecole de jazz, Anvers
  • 1990 – Forme le groupe Zap Mama
  • 1991 – Premier album
  • 1993 – Naissance de sa fille Kezia
  • 1994 – Album Sabsylma nommé aux Grammy Awards
  • Depuis 1997 – Carrière solo
  • 1999-2010 – vit aux Etats-Unis
  • 2001 – Naissance de son fils Zékyé
  • 2018 – Album Eclectic Breath

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