Rencontre avec Pascal Duquenne: « Je suis un porte-drapeau de la trisomie »
Il a crevé l’écran dans l’émouvant « Huitième Jour ». Que devient-il? Un artiste multidisciplinaire et un grand sportif comblé! Echanges sur son fabuleux parcours de vie...
A un jet de pavé de la Grand-Place de Bruxelles, le jeune quinquagénaire atteint du syndrome de Down nous reçoit dans son appartement où il vit en autonomie grâce à l’association « Le 8ejour » créée par sa mère. Une grande affiche du « Huitième Jour » au mur, son Prix d’interprétation décroché à Cannes (1996) encadré sur un autre, des médailles en vitrine, une batterie, un synthétiseur, des affiches de ses expositions, des crayons étalés sur la table.... Un simple coup d’oeil suffit pour cerner l’ampleur des talents de notre hôte aux yeux rieurs! Son coach et agent Gilbert Serres assiste à cet entretien inséré dans l’agenda chargé du comédien.
En tant que juré permanent du Festival International du Film sur les Handicaps ( à Lyon), vous remettez chaque année le Prix Pascal Duquenne. Quels sont vos critères pour récompenser un long-métrage?
Je regarde cinq films qui viennent du monde entier. Parfois, je ne comprends pas la langue: c’est écrit en français, en dessous, mais ça va trop vite pour lire alors Gilbert m’explique. J’aime l’histoire et surtout les sentiments, la façon de jouer des acteurs. Tous ces films sont merveilleux! C’est bien que les gens voient des films, de plusieurs pays, sur la différence.
Vous êtes devenu célèbre grâce au « Huitième Jour » de Jaco Van Dormael. Quand avez-vous voulu devenir comédien?
Oh oui, ce film est mon plus beau souvenir! Mon rêve était de devenir acteur... Alors quand j’étais adolescent, ma maman m’a inscrit au Créahm (centre de créativité pour handicapés mentaux, ndlr) où j’ai suivi des cours de théâtre.
Gilbert Serres: Sa maman m’a confié qu’il aime faire le clown depuis tout petit. En maternelles, il grimpait sur les tables pour faire rire ses copains. C’est inné chez lui, un acteur d’intuition, d’après Jaco.
Quels souvenirs gardez-vous de ce film où vous interprétez Georges, un jeune trisomique qui bouleverse la vie de Harry (Daniel Auteuil), un homme d’affaires surmené?
J’en ai beaucoup! Mais la plage à Cannes, c’était le plus chouette: l’ambiance, les mecs, les filles... J’avais l’impression d’être dans la série « Alerte à Malibu »! (rires)
Voyez-vous encore Jaco Van Dormael et Daniel Auteuil?
Jaco, de temps en temps. Il m’invite au restaurant ou je vais manger chez lui. Je lui téléphone aussi. C’est un copain... Avant, Daniel et moi, on s’appelait mais je n’ai plus de contact.
Regardez-vous souvent « Le Huitième Jour »?
Oui, oui! C’est un beau film, hein? Je l’ai déjà vu des dizaines de fois. Bien sûr, je sais ce qu’il va se passer mais je pleure et je rigole à chaque fois. Je regarde toujours ce film avec mon coach. Je suis content de me voir à la télévision. Je trouve que je suis un bon acteur. (rires) Je regarde parfois, au mur, le prix que j’ai reçu au Festival de Cannes et je suis ravi!
Ce film a-t-il aidé les gens à accepter la différence?
Oui mais, en fait, on est tous différent. Il y a partout des différences, entre les enfants, entre les adultes, certaines personnes ont des lunettes... La trisomie n’est pas la seule différence.
Que faites-vous pour sensibiliser les gens au handicap?
Des conférences, des rencontres, dans des associations, festivals, écoles... Je discute du film « Le Huitième Jour » avec des élèves... En Belgique, France, Suisse, Egypte... Toujours avec mon coach. J’aime bien aider les autres, raconter un peu mon histoire pour montrer que le handicap n’empêche pas forcément de faire des choses. Je suis un des porte-drapeaux de la trisomie.
Gilbert Serres: J’ai une bonne anecdote! Il y a quelques temps, nous étions invités à une émission de télévision sur le handicap, à Lausanne. L’animateur demande à Pascal: « Ca vous fait quoi d’être handicapé? » Il a répondu: « Je n’aime pas le mot handicapé, je suis différent, je suis acteur, je joue de la batterie, je dessine, je skie, je fais du football, de la natation... L’animateur a alors rétorqué: « Eh bien moi, je ne fais pas tout ça! » Et Pascal a envoyé: « Alors, c’est qui le handicapé? » Génial!
Pascal Duquenne: C’est vrai, je n’aime pas le mot « handicapé ». Ca me blesse car je fais beaucoup de choses... Je préfère le mot « différent ».
Avez-vous un projet au théâtre?
Je vais bientôt jouer dans « La Dame de chez Maxim » (de Georges Feydeau) avec la troupe Cyrano. Je suis très content! J’aime bien changer de costume et c’est une histoire drôle. Waouw, je vais bien m’amuser! Il y a trois ans, j’ai joué le rôle du commissaire dans le « Mariage de Madame Beulemans », avec cette troupe. Un petit rôle mais la pièce a eu beaucoup de succès. Puis, j’ai beaucoup voyagé avec la troupe Les Platanes et je joue aussi dans la troupe amateur du Créahm.
Préférez-vous le cinéma ou le théâtre?
J’aime les deux mais le cinéma c’est plus facile parce que quand je suis fatigué, je peux faire une pause. Au théâtre, non...
Pascal Duquenne
- 8/8/1970 Naissance à Vilvorde
- Depuis 1985: Participe aux ateliers du Créahm, à Ixelles
- 1991: Apparition dans « Toto le Héros » de Jaco van Dormael
- 1996: Prix d’interprétation masculine avec Daniel Auteuil à Cannes pour « Le Huitième jour »
- 1999: Médaille d’or aux Special Olympics
- 2006: Rôle dans « The Room » de Giles Daoust
- 2015: Participation dans « Le tout Nouveau Testament » de Jaco van Dormael
- 2020: Président de la 10e cérémonie des Magritte du Cinéma
- 2021: Clip pour le groupe hard rock Stengah
Vous réalisez aussi des gravures monotypes, essentiellement en noir et blanc, et des dessins en couleur?
Oui, oui. Je fais beaucoup d’expositions. En Belgique et dans d’autres pays... Je suis content de montrer mon travail. Maintenant, presque toutes mes gravures sont vendues! C’est souvent des visages de personnages de mon imagination. Parfois, j’offre un beau petit dessin aux visiteurs.
Et vous êtes donc musicien!
Je joue de la batterie, du piano. Je fais du rap, du rock... J’ai joué un beau morceau d’harmonica à l’enterrement de ma maman (en 2020). Je donne des concerts avec « Le 8e Groupe ». Parfois, je chante... enfin j’essaye. (rires)
Puis, vous écrivez des poèmes...
J’invente des poèmes que je raconte pendant que mon groupe joue de la musique. (Pascal se métamorphose pour déclamer, avec émotion, un poème portant sur une promenade dans les bois) J’écris aussi parfois des petites lettres à mes amis pour montrer que je les aime.
Vous êtes aussi un grand sportif!
J’aime tout! J’ai fait du ski, du cheval... Je fais encore du football, de la voile, de la natation... Mon grand frère Yves m’a appris à nager: le crawl, la brasse et la nage papillon qui est la plus difficile. J’aime la bonne ambiance avec mes copains à la piscine. J’y vais tous les samedis, en train, à Vilvorde.
En plus, vous participez chaque année aux Special Olympics (jeux pour athlètes ayant une déficience intellectuelle), en Belgique et ailleurs?
Oui, je fais surtout les compétitions de natation. Il faut bien s’entraîner, plusieurs semaines à l’avance. Le principal pour moi, c’est de participer avec mes copains. Mais... je suis content quand je gagne des médailles. Je suis un grand champion! (rires)
Combien de médailles avez-vous?
Ouhlàlààà! Beaucoup, presque tout en natation. (Il va chercher une grande caisse remplie de médailles en tout genre). C’est lourd, j’en ai plus de 200! En or, en argent, en bronze et des médailles de participation. Ma moins bonne performance, c’est quand j’étais quelques fois quatrième...
Comment gardez-vous la forme?
Je m’entraîne beaucoup et parfois je fais régime car Gilbert réclame sur moi quand je mange des pâtes et des pâtes et encore des pâtes avec de la sauce. Quand j’ai des kilos en trop, je cuisine des repas sains, avec des légumes.
Avec toutes vos occupations, vous devez avoir un agenda de ministre!
Oooh oui... J’ai toujours beaucoup de choses à faire et de gens à voir. Je ne sais pas dire non. Alors je suis fatigué.
Réalisez-vous que vous êtes une star?
Oui, mais il n’y pas que moi. Il y en a plein d’autres... Tout le monde est star quand on fait bien son travail.
On vous reconnaît dans la rue?
Souvent, oui. Les gens me parlent, demandent une signature, une photo. Je suis toujours d’accord. C’est chouette!
Que manque-il dans votre vie?
Mon rêve est de vivre en couple, d’avoir une femme. Mon ancienne copine, Michèle (sa petite amie dans « Le Huitième Jour ») a trouvé un autre amoureux. J’ai tiré la tête car ça m’a fait mal. Puis on s’est remis ensemble pour quelques mois et à nouveau séparés.
Grâce à l’association « Le 8e jour », une quarantaine de résidents sont logés dans différents appartements de six immeubles. Des appartements supervisés par des référents. Vous vivez, seul, ici depuis 2002. Comment cela se passe?
Très bien! Je fais ma lessive, les courses et je cuisine. Tous les lundis, on mange ensemble avec les quatre copains des quatre autres appartements de l’immeuble. On cuisine chacun à notre tour.
Allez-vous au cinéma?
De temps en temps, je vais voir des films d’action avec mes copains. Mon acteur préféré c’est Jean-Claude Van Damme puis Leonardo DiCaprio, Arnold Schwarzenegger, Benoît Poelvoorde. J’ai envie de jouer dans un film avec Jean-Claude Van Damme!
Qu’aimeriez-vous jouer au cinéma?
J’aime tout ce qu’on me propose! Mais faire le cow-boy et le pilote de formule 1 me plairait quand même bien.
Souhaitez-vous passer un message ?
Oui, d’être gentils avec les personnes différentes, de respecter tout le monde.
« Semaine des Handicaps » (26/11-3/12), à Bruxelles, sur le thème « Art et handicap » et dont Pascal sera un des visages. Concert du « 8e Groupe » le 1/12 à 20 h, au Centre Tour à Plomb. Infos: https://touraplomb.be
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