Rencontre avec Philippe Boxho: “Il faut rire de la mort!”

Son dernier livre, La mort en face, cartonne comme les deux premiers. À la grande surprise du médecin légiste ! Dissection de ce phénomène de l’édition.

« Folie ». Voilà le premier mot du troisième livre du Dr Boxho dont les intrigues captivantes nous emmènent des scènes de crimes à la salle d’autopsie, en passant par des suicides étonnants et des morts pas toujours morts. C’est que ses deux premiers ouvrages se sont déjà écoulés à plus de 265.000 exemplaires chacun. Les ventes ont d’ailleurs permis de sauver de justesse la maison d’édition belge Kennes de la faillite ! L’aventure littéraire a commencé après la diffusion d’un podcast sur la RTBF (2021) où il raconte trois anecdotes vécues et le succès a explosé après une interview du youtubeur français Guillaume Pley. Les vidéos des histoires du quinquagénaire cumulent des millions de vues sur internet. Désormais une star des librairies et des réseaux sociaux ! Le légiste, également professeur en criminologie et en médecine, nous reçoit au CHU de Liège, juste avant de donner cours.

Vos conférences et séances de dédicaces attirent les foules. Vos livres seront traduits en de nombreuses langues. Comment expliquez-vous cet engouement ?

Je ne l’explique pas ! J’espérais juste que mon premier livre – je croyais d’ailleurs n’en écrire qu’un – se vende à 5.000 exemplaires, nombre à atteindre pour un best-seller en Belgique. C’aurait été ma petite décoration à moi. Au début, mon public se composait surtout de jeunes qui ont ensuite conseillé à leurs parents de me lire et maintenant j’ai aussi des grands-parents qui viennent aux dédicaces et conférences. C’est sympa de les voir en famille. Beaucoup de personnes m’ont confié qu’il s’agit du premier livre qu’ils achètent et lisent. Cela me fait plaisir. Le fait que ce soit des histoires courtes et pas une brique de 300 pages constitue un élément déterminant, à mon avis.

Puis, il y a votre style. Rigueur scientifique, humanité et franc-parler avec une touche d’humour…

Oui, les lecteurs me disent que ma façon de raconter leur plaît. C’est ma nature, je ne sais pas faire autrement. Un homme qui se tire quatorze fois dessus car ses bras sont trop courts (pour viser le cœur avec sa carabine, ndlr), c’est marrant. Je pense aussi à cet homme qui, pour ne pas se rater, essaye de se mettre une balle dans le crâne en même temps qu’il se pend. Mais il vise mal : la balle coupe la corde, il tombe par terre et meurt d’une fracture du crâne. Excusez-moi, je trouve cela hilarant ! Je ne me moque pas de lui mais je rigole des circonstances. Les histoires que je raconte sont toujours véridiques sur le plan médico-légal. Néanmoins, je les romance pour éviter qu’on reconnaisse les affaires. Par respect pour les victimes, je change aussi les prénoms en utilisant ceux de mes potes.

Comment ne pas verser dans le glauque ?

Je ne le suis pas. Dans mes livres, les histoires sont telles que moi je les sens, les vis, avec mon regard. Je devrais me forcer pour faire du glauque et je n’en ai pas envie.

Peut-on rire de la mort ?

Bien sûr que oui ! Il faut en rire. J’ai d’ailleurs adopté ce dicton : « Rions de la mort avant qu’elle ne nous sourie ». Je ne ris jamais de la personne décédée. Je traite de façon un peu cynique la façon de mourir. J’ai toujours trouvé crétin que la mort soit un sujet tabou. Elle n’est pas après la vie, elle est le point final de la vie.

Pourquoi avez-vous décidé de raconter votre profession dans des livres ?

C’est un beau moyen de faire connaître ce métier de l’ombre que tout le monde croit connaître via les séries américaines. Du grand n’importe quoi, ces séries ! Je veux aussi montrer que les légistes sont des gens normaux : dans les séries américaines comme Les Experts, le médecin légiste est soit une très belle femme, soit un mec avec un problème physique ou mental. Toujours. Puis, plus sérieusement, je veux attirer l’attention sur la médecine légale qui est en train de mourir, le gouvernement ne se souciant de nous à aucun égard ! En Belgique, on pratique 1 à 2 % d’autopsies par an alors que la moyenne européenne est de 10 à 12%. On n’utilise pas assez la médecine légale pour des raisons budgétaires. Une étude de l’Université Libre de Bruxelles a montré que plus de septante meurtres par an passeraient inaperçus. C’est stupéfiant dans un État de droit !

Plus de septante meurtres par an passeraient inaperçus en Belgique. C’est stupéfiant !

Philippe Boxho

Pour susciter des vocations aussi ?

Oui, le métier est en pénurie. Il n’y a qu’une vingtaine de légistes en Belgique. Le problème, c’est qu’il faut énormément s’investir dans les gardes – dans la mentalité actuelle, la garde n’est pas à la mode – et que la profession est mal payée.

Quel est votre moteur pour exercer la médecine légale ?

Ah, j’adore les enquêtes ! Le légiste doit répondre à deux questions : de quoi et quand est morte une personne ? Je suis en quête de vérité. J’ai pratiqué près de 3.000 autopsies en trente-trois ans. Cela m’amuse d’aller à la recherche de tout ce qu’il y a moyen de trouver sur un corps pour le faire parler. C’est le dernier service à lui rendre. Je préfère faire parler les morts que d’écouter les vivants se plaindre. Le plus dur, c’est quand j’ai affaire à des enfants. Le Graal, découvrir que ce qu’on pensait être un suicide ou une mort naturelle est en réalité un meurtre.

Y a-t-il des proches de défunts qui reconnaissent l’histoire ?

C’est arrivé deux fois. On m’a demandé de ne plus en parler, je l’ai fait par respect pour les familles. Par ailleurs, plusieurs familles m’ont écrit pour que je parle de leur défunt afin qu’il continue à vivre à travers mes livres. C’est possible s’il s’agit d’une de mes affaires. Il y a aussi des proches inquiets qui m’envoient des photos de leur défunt pour avoir mon avis. Si je peux les rassurer, je le fais.

Vous êtes devenu une star ! Comment le vivez-vous ?

Je m’en fous complètement ! Cela m’amuse car je peux parler de mon métier et être pédagogue. Je ne tire pas une gloriole personnelle de passer dans une émission télévisée ou l’autre. Mais je n’arrive plus à traverser une rue, à Liège en tout cas, sans être reconnu. Les gens, de tout âge, qui m’arrêtent pour un selfie, une dédicace, sont super sympas. Cet engouement n’a rien changé à ma façon de vivre mais je suis moins souvent à la maison car j’ai accepté de donner des conférences à gauche, à droite et des séances de dédicaces. À côté de son travail de logopède, mon épouse participe à l’organisation de cette tournée qui passe par la France, la Suisse et le Québec. Et mes filles gèrent les réseaux sociaux.

Vos enfants (âgés de 20 à 28 ans) suivent-ils votre voie ?

Pas du tout ! Ma fille est juriste dans une compagnie d’assurance, mon gamin est militaire à l’armée belge, ma dernière étudie l’interprétariat et la fille de ma femme fait des études d’institutrice.

Avec votre agenda surchargé, avez-vous encore du temps pour exercer la médecine légale ?

Pour les gardes, non. Pour autopsier et pour voir des gens, oui. Car il faut savoir que la médecine légale, c’est 80 % de vivants ! Je les vois à la demande des tribunaux ou des magistrats du parquet pour évaluer notamment les séquelles qu’ils présentent à la suite d’une agression, d’un accident de roulage, de travail, pour évaluer s’ils peuvent travailler, conduire, aller en prison…

À choisir: la plume ou le scalpel ?

Le scalpel, sans conteste ! C’est une belle expérience mais quand j’écris je suis insupportable. Par histoire, il me faut une journée complète où rien ne vient m’ennuyer. Je suis dans ma bulle…

Je ne me moque jamais de la personne décédée mais je rigole des circonstances.

Philippe Boxho

Avez-vous des projets ?

La parution d’un quatrième livre en 2026. Dans le dernier, les histoires que je raconte datent d’il y a au moins vingt ans. J’ai donc encore du stock! Il y a aussi un projet de série télévisée axée sur mes histoires. Je ne veux pas jouer dedans mais bien être conseiller technique pour ne pas qu’on raconte n’importe quoi, participer au choix des acteurs et apparaître à la Hitchcock dans l’un ou l’autre épisode, en montant dans un bus ou train, par exemple. Ce serait comme une signature.

Novembre rime avec Toussaint. Pensez-vous à votre propre mort ?

Non. Et je n’ai pas peur de la mort. Il y a des manières dont je ne veux pas mourir : brûlé vif, électrocuté ou, pire, noyé. Mais s’inquiéter, c’est du temps et de l’énergie perdus. Profitons de la vie !

Allez, une petite anecdote insolite d’un de vos livres pour terminer ?

Un jour, on m’appelle dans une région proche d’ici. Dans le salon, je vois un cercueil vide. Devant, une vieille dame décédée. Je m’interroge : « Comment a-t-elle fait pour sauter du cercueil ? ».En fait, il s’agit d’une voisine venue rendre un dernier hommage à la femme dans le cercueil sauf que celle-ci n’est pas exactement morte, mais en catalepsie. A un moment donné, elle se redresse du cercueil, regarde sa voisine et, sans se rendre compte de ce qui se passe, lui demande : « Mais que fais-tu là, Ernestine ? » Choquée, Ernestine meurt d’une crise cardiaque… Une histoire complètement folle !

Philippe Boxho

1965: Naissance à Liège
1990: Doctorat en médecine
1996: Diplômé en criminologie
Depuis 2001: Professeur en criminologie et en médecine
Depuis 2001: Directeur de l’Institut de Médecine légale de l’ULiège
2022: Livre : « Les morts ont la parole »
2023: Livre : « Entretien avec un cadavre »
2024: Livre : « La mort en face »
2024: Citoyen d’honneur de la ville de Liège

Ed. Kennes/Les 3 As, 216 p., 19,90€.

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