Rencontre avec Philippe Geluck: « Le Chat est mon double! »
Il expose fièrement ses sculptures géantes de bronze à Bruxelles. Echanges avec l’artiste belge qui fête les 40 ans de son célèbre matou.
C’est au Parc Royal que Philippe Geluck a installé son imposante progéniture. Vingt-deux statues félines d’une tonne chacune y titillent les passants jusqu’au 30 juin. L’exposition itinérante « Le Chat déambule » a commencé, en 2021, à Paris avant une escale à Bordeaux, puis Caen, Genève, Monaco et Montreux. La vente des oeuvres entend financer le futur Musée du Chat et du dessin d’humour.
Pourquoi Bruxelles n’était-elle pas la première étape de cette tournée?
Je termine, en apothéose, à Bruxelles! L’idée était d’achever la tournée au Parc Royal au moment de l’inauguration du Musée du Chat et du dessin d’humour mais le chantier a pris du retard... Pour la Belgique, j’ai préparé deux sculptures supplémentaires, une sur le thème de la déforestation et l’autre sur celui de la beauté intérieure. L’exposition tournera peut-être encore un peu après Bruxelles mais pas Outre atlantique. J’ai finalement renoncé à New York et Montréal notamment, pour des raisons écologiques et familiales car je n’ai déjà pas assez de temps pour voir mes enfants, petits-enfants et amis.
Votre sculpture préférée?
Pour la symbolique, la voiture écrasée par un chat. C’est rendre justice à toutes les victimes de la violence routière qui m’est insupportable. Cette sculpture touche toutes les générations.
ça vous fait quoi d’exposer dans votre ville?
C’est le retour dans la famille et sur les lieux où Le Chat est né. Dans la rue, à Bruxelles, beaucoup de gens me demandent: « Tiens, vous n’êtes pas à Paris? » Mais non, pourquoi? Cela fait des années que j’ai quitté les émissions de télévision pour mes projets artistiques et muséaux car je ne peux pas continuer à faire tout en même temps. Je vis à Bruxelles, je suis ancré dans cette culture et j’enrage sur le mal qu’on fait à ma ville comme la mobilité, la saleté... Cette exposition apporte de la joie visiblement: il y a déjà eu plus de 7 millions de visiteurs! J’espère que ce sera le même phénomène ici.
Cette expo poursuit plusieurs buts...
Oui, les sculptures s’offrent aux regards et aux caresses. C’est un bonheur de présenter mon travail dans l’espace public car accessible à tous et d’interpeller sur des sujets comme la violence routière, la liberté d’expression, la pollution par le plastique... Il y a des sculptures poétiques, drôles, surréalistes... C’est un nouveau mouvement artistique finalement car il n’y a pas énormément d’art rigolo! (rires) Et, enfin, l’objectif est la mise en vente des sculptures au profit intégral de la cagnotte du futur Musée du Chat et du dessin d’humour qui doit s’ouvrir début 2026.
L’annonce par la Région bruxelloise de l’octroi du permis d’urbanisme pour ce musée, au Mont des Arts, a créé la polémique il y a deux ans. Avez-vous compris les critiques?
Cette annonce a été faite en pleine crise covid, quand le milieu artistique était en souffrance. Deux artistes à la Cambre ont alors crié au scandale puis cela s’est enflammé avec des pétitions. Je comprends la souffrance du monde culturel mais il y a un vice d’analyse dès le départ: la Région construit un bâtiment, certes, mais elle ne dépense pas cette somme pour moi ou mon projet! Elle le construit sur un chancre urbain dont personne ne sait quoi faire depuis quarante ans. Il n’y a pas un centime pour moi là-dedans. Je dois apporter 8,5 millions d’euros à ce projet, je vais me charger de tous les aménagements et l’asbl qu’on a créée exploitera le musée sans subsides. Je vais donc louer ce bâtiment à la Région. Et contrairement à ce qu’on a pu dire, mon projet n’est pas de faire un temple à ma propre gloire, je voudrais surtout honorer le métier de dessinateur humoriste. J’aurai ma partie en perpétuel renouvellement, il y aura des expositions d’autres artistes et des expositions sur le thème du chat dans la culture depuis l’Egypte ancienne. Ma démarche est pure. Cette polémique m’a beaucoup blessé...
Préférez-vous sculpter ou dessiner le Chat?
Je l’ai dessiné des centaines de milliers de fois et sculpté vingt-deux fois. J’adore les deux mais la sculpture, c’est plus sensuel: on donne presque vie à quelque chose puisque des légendes anciennes et africaines disaient que Dieu avait créé l’Homme à partir de la terre qu’il a sculptée et puis fait bouger. Donc, on se sent un peu le maître du monde en faisant cela sauf que moi je crée un gros lourdaud au lieu d’êtres humains si subtils et élégants! (rires)
Qui est le Chat pour vous?
Mon double aux deux sens du terme puisqu’il est bien plus épais! Ma femme, c’est ma moitié et Le Chat, mon double. Un autre moi-même. Le porte-voix de mes délires. Quand je le dessine, je suis dans sa tête, son scénariste, son docteur Frankenstein... Il a très vite acquis une espèce d’autonomie et il est devenu lui-même. J’en parle comme de quelqu’un qui existe vraiment. Les gens se le sont approprié. C’est étonnant et touchant.
En quoi vous ressemble-t-il?
Les lunettes rondes que je porte depuis mes 16 ans, le mauvais esprit, le fait d’aimer les blagues un peu vachardes et peut-être la bienveillance. Je pense que les blagues vachardes passent sans problème si on sent qu’il y a de la bienveillance. Le Chat, avec son côté bonhomme, peut balancer des horreurs mais on ne lui en tient pas rigueur parce que c’est une bonne pomme. Parfois, je ris à mes propres gags. Pas sur tous les dessins, je vous rassure!
Le Chat trouve son origine sur un carton de remerciement de votre mariage avec Dany. Un vrai félin vous a inspiré?
Oui, enfin, je nous avais dessinés en chats Dany et moi, déjà avec des lunettes rondes pour qu’on me reconnaisse. Le Chat, tel qu’on le connaît, est arrivé plus tard... En fait, à l’époque, j’avais une chatte, Madame Bovary, qui a tout de suite aimé Dany. Un très bon signe car j’avais eu des petites amies avant de la rencontrer et ce félin ne les appréciait pas de la même façon. Cet animal nous a accompagnés dix-sept ans. Peut-être que Madame Bovary est vaguement l’inspiratrice du Chat...
Philippe Geluck
1954: Naissance à Bruxelles
1975: Sortie de l’Insas et premier rôle au théâtre
1980: Epouse Dany
1983: Naissance d’Antoine
22/3/1983: Naissance du Chat dans Le Soir
1985: Naissance de Lila
1999-2006: Chroniqueur chez Drucker dans « Vivement dimanche »
2000-2007: Chroniqueur dans « On a tout essayé »
2020: Sortie du 23e tome du Chat « Le Chat est parmi nous »
2021: Sortie du catalogue de l’expo « Le Chat déambule »
Vous êtes aussi un peu félin puisque vous avez neuf vies avec votre parcours diversifié?
C’est vrai, il y a un parallèle à établir! Le chat a neuf vies mais successives, certains parlent de réincarnation, de vie éternelle, etc. Hélas, je ne crois pas à ces légendes donc comme la vie n’est pas assez longue pour tout ce que je voudrais faire, j’ai essayé de la rendre large: j’ai toujours pratiqué au moins trois métiers parallèlement puisqu’il y a eu le théâtre, la radio, la télévision, le dessin, la peinture, la sculpture, l’écriture... Plusieurs métiers par appétit, par gourmandise. Au départ, sans doute pour avoir deux ou trois cordes à mon arc. C’est difficile de choisir car tout est source de plaisir, amitié et rigolade.
D’où vient votre passion pour l’humour et l’art?
Je l’ai dans le sang. Je faisais rire, me dit-on, dès que j’ai commencé à parler. C’est une tradition familiale parce que j’avais un grand-père qui faisait rire tout le monde, un papa très rigolo, très pince-sans-rire. Passionné de peinture, de dessin et de cinéma, il a été dessinateur de presse et distributeur de films des pays de l’Est. Ma mère a suivi des études de chant classique.
Votre épouse Dany joue un rôle dans votre travail?
Oui, elle est ma première lectrice. Quand j’ai terminé un livre ou album, elle me fait un compte rendu objectif et sans concession. Elle me dit quand je me répète, quand elle trouve un dessin moins drôle... Dany m’aide à accrocher mes tableaux aux expositions. Son avis m’importe beaucoup mais elle ne me donne pas d’idées de gags. C’est ma complice depuis quate-six ans!
Vous avez deux enfants et quatre petits-enfants. Suivent-ils votre voie?
Pas du tout! Mon fils, Antoine Chance, est chanteur, compositeur et musicien, et Lila a ouvert un magnifique restaurant dans une grange qu’elle a aménagée, à Lasne. On a une entente magique, ils nous font rire avec leur sens de l’humour dévastateur. Pour les petits-enfants, on verra. Je ne leur lis pas Le Chat car ils sont trop jeunes mais l’aîné, Marcel, 11 ans, m’a déjà récité de mémoire des planches entières et il est passionné par les sculptures.
Marcel prendra la relève?
Non. Je ne déposerai jamais mon crayon et ne le transmettrai à personne. Le Chat me survivra mais j’ai dit à mon notaire et à mes proches que je n’autorise personne à le dessiner après moi.
Votre héros est né dans le journal Le Soir il y a tout juste quarante ans!
Oui, pour son anniversaire, je prépare un album un peu plus feuillu que les précédents, avec une grande majorité de dessins inédits. Même si je ne publie plus dans la presse, je continue à dessiner quotidiennement. Je veux que cet album soit le meilleur de tous! Le Chat n’a pas pris une ride, en tout cas. Il est resté, comme moi, très gamin dans sa tête. J’aime bien qu’il soit crétin quand on l’attend intelligent ou qu’il soit intelligent quand on l’attend crétin.
Tiens, avez-vous des chats?
On a eu des chiens et chats quand on habitait à la campagne car là ils étaient dans la nature. Maintenant qu’on vit à Bruxelles, non. C’est un peu compliqué si on doit bouger, aller à Paris, etc. Puis, je trouve que les animaux et la ville, ce n’est pas trop compatible. Mais j’adore les chats!
Auriez-vous rêvé d’une autre vie?
Non, je suis un gros gâté. J’ai rencontré l’amour de ma vie, j’ai des enfants et petits-enfants merveilleux, des métiers que j’aime. Vers 9 ans, je créais des petites pièces de théâtre, émissions de radio, BD... Mes jeux d’enfant sont devenus mes métiers. Ma vie est une longue enfance, si on veut. (rires)
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